L’acquisition de preuve à l’épreuve du consentement


Analyse, règlementation / mercredi, janvier 10th, 2024

Le 22 décembre 2023, la Cour de Cassation a pris une décision qui va faire couler de l’encre. Elle a en effet reconnu comme valables des enregistrements réalisés à l’insu d’un salarié par l’employeur. Ici, la décision.

Or dans le cadre de l’action civile, il n’est légalement pas possible de filmer, enregistrer, à l’insu de la personne. Cela signifierait une surveillance exagérée, et une atteinte au droit à la vie privée, même dans le cadre professionnel.

Vous avez vu la série The good wife ? Dans cette série, les avocats jouent aux chaises musicales avec différents Etats américains, certains acceptant qu’une partie seulement soit au courant d’un enregistrement. Ce qui est possible à Chicago n’est pas possible à Washington, etc.

The good wife, caption.

En France, c’est ou plutôt c’était très clair, il faut que tout le monde consente.

Vous avez peut-être déjà du participer à un entretien professionnel potentiellement litigieux, comme employeur, RH, salarié, etc. En présentiel ou sur zoom, il a pu être enregistré. C’est possible, mais il faut que les deux parties l’acceptent. Et donc au préalable demander à l’autre partie. Considérer qu’elle s’en doute, que c’est évident, ça ne marche pas. Et encore moins quand cela est fait volontairement à l’insu de la personne.

Or, dans cette dernière affaire, la situation est la suivante : l’employeur avait licencié un salarié commercial suite à un entretien de recadrage lors duquel le salarié avait refusé de montrer son travail et de présenter son suivi commercial. Le salarié licencié avait attaqué l’employeur, qui n’avait comme preuve du non travail que cette preuve là, enregistrée en entretien préalable à licenciement, pour prouver que non seulement le salarié n’avait pas rempli les missions demandées, mais qu’il avait refusé de présenter des outils de suivi.

Ce qui se joue ici, c’est que c’est le seul moyen, la seule preuve. Elle est INDISPENSABLE et sans elle, il n’est pas possible de prouver ses dires.

Si l’employeur avait eu d’autres preuves (mails, échanges) le juge aurait refusé cette preuve.

Donc la preuve enregistrée à l’insu de l’employeur ou du salarié devient possible, à la condition que cette preuve soit indispensable et qu’elle soit proportionnelle aux besoins du dossier (ici, prouver l’absence de travail).

Est-ce que cela crée une brèche ?

Oui et non. Il était déjà admis que certaines preuves soient admises, s’il s’agissait d’enregistrements de réunions par exemple, parce que c’était le cadre de travail. Il était interdit de filmer ou enregistrer son chef hors cadre de travail (en vacances, chez lui… (attention la soirée de Noël, ou les voeux de l’entreprise c’est festif mais cela reste le cadre de travail, tout comme un déplacement professionnel).

Mais cela confirme un mouvement sur le droit à la preuve qui permet, progressivement, grâce à la jurisprudence, de protéger la partie plus vulnérable. Et notamment le salarié en difficultés qui a droit à un accès équitable à la justice. Et ca, c’est grâce à la CEDH (Vous voyez, l’Europe, c’est pas si mal quand on parle des libertés fondamentales).

Dans les formations DISCRIMINATIONS de Dames Oiseaux, beaucoup de salariés font remonter un traitement différencié parfaitement inacceptable et illégal, mais qu’ils ont du mal à prouver, car ce sont des mots. Et l’oral, c’est compliqué. Sauf que si vous arrivez à enregistrer dans le cadre de travail votre employeur vous dire directement qu’il ne vous promeut pas, vous forme pas, vous garde pas du fait de votre origine, vulnérabilité économique, handicap, état de santé, grossesse, opinion syndicale, et que c’est le seul moyen de prouver la discrimination, alors le juge acceptera cette preuve.

The good wife, caption.

Et oui, cela vient aider des équipes vulnérables (je pense aux agents des équipements sportifs et espaces verts des collectivités, aux métiers de la restauration, à des métiers techniques du monde de la culture et de l’audiovisuel où tout se passe à l’oral) tout en percutant la notion de consentement. En effet, il reste illégal d’enregistrer une personne à son insu, sauf si le préjudice subi par la personne qui enregistre ne peut être prouvé que par ce moyen.

Attention toutefois, la Cour de Cassation a déjà retoqué une autre affaire où des éléments trop personnels de la vie privée avaient été apportés au dossier. Le juge avait noté dans une affaire de divorce aux torts exclusifs de l’époux en 2006 que plusieurs documents attestant de l’état de santé montraient bien le préjudice de l’épouse, mais qu’un certificat médical avait été montré et qu’il n’était pas indispensable puisque d’autres documents le montraient déjà. Le mieux étant l’énnemi du bien, il faut donc toujours se garder de trop exposer la vie privée de l’autre partie !